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La citoyenneté est-elle devenue un délit ?

Telle est la question que l’on est amené à se poser en analysant la mise en place du nouveau fichier policier Edvige (Exploitation documentaire et valorisation de l’information générale). Ce fichier correspond à un ancien fichier des renseignements généraux dont Michel Rocard avait permis l’existence en 1991. La réorganisation des services de renseignement a donné lieu à la mise en place de deux commissions : la Sdig (Sous-direction de l’information générale) et la DCSP (Direction Centrale de la Sécurité Publique) ; ces dernières ayant accès au fichier Edvige. Il est également mentionné dans le décret émanant du Premier ministre et publié au Journal Officiel du 1er juillet que dans certaines conditions exceptionnelles les agents de police pourront avoir accès à ces données.

Un tel fichier peut être considéré comme dangereux car il enregistre des informations concernant des personnes physiques ou morales ayant sollicité, exercé ou exerçant un mandat politique, syndical ou économique ou qui jouent un rôle institutionnel, économique, social ou religieux significatif. Autrement dit, il apparaît que toute personne ayant un jour souhaité s’investir dans la vie de la cité sera fichée. Notons au passage que la formulation jouer un rôle significatif laisse place à la plus grande subjectivité.
Par ailleurs, le fichier concernera également les individus, groupes, organisations et personnes morales qui, en raison de leur activité individuelle ou collective sont susceptibles de porter atteinte à l’ordre public. Cette formulation permet de couvrir la quasi totalité de la population, et d’accentuer la surveillance des citoyens. Certes, il existe déjà des fichiers de ce type (dont l’existence peut d’ailleurs être remise en cause) tels que le FNAEG (Fichier National Automatisé des Empreintes Génétiques) ou le STIC (Système de Traitement des Infractions Constatées) mais ces fichiers regroupent des données relatives à des personnes ayant été mises en cause dans des affaires judiciaires ou policières. Avec ce nouveau fichier les informations relevées et stockées concernent des personnes de la vie civile n’ayant jamais eu à traiter avec la justice.
Enfin, les mineurs pourront être fichés dès l’âge de 13 ans et on imagine aisément qu’être « fils de » sera un prétexte suffisant. Si des mineurs se rendent responsables de perturbations de l’ordre public, les faits ne doivent pas leur être opposés des années après. Le droit de changer doit être assuré pour tous ! Or le texte ne donne aucune limite concernant la durée de conservation des données. Par ailleurs, il semble que le fichage d’enfants de 13 ans ne soit encadré par aucune loi pénale.

Edvige se distingue également des autres fichiers par le type de données qui pourront être stockées. Voici la liste des renseignements que contiennent les fiches enregistrées :
― adresses physiques, numéros de téléphone et adresses électroniques ;
― signes physiques particuliers et objectifs, photographies et comportement ;
― titres d’identité ;
― immatriculation des véhicules ;
― informations fiscales et patrimoniales ;
― déplacements et antécédents judiciaires ;
― motif de l’enregistrement des données ;
― données relatives à l’environnement de la personne, notamment à celles entretenant ou ayant entretenu des relations directes et non fortuites avec elle.
Autrement dit, des informations à caractère strictement personnel concernant le domaine privé.
En outre, les motifs invoqués pour la collecte des données sont également modifiés puisqu’il ne s’agit plus d’apprécier la sitatution politique, économique ou sociale, mais il s’agit de permettre au gouvernement d’exercer l’exercice de ses responsabilités. Le pouvoir en place estime donc qu’il est nécessaire de porter atteinte aux libertés individuelles pour pouvoir exercer convenablement ses fonctions !

On peut légitimement se demander quels ont été les moyens mis en œuvre pour en arriver à la création d’un tel fichier. En effet, la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés) qui est toujours consultée pour ce type de question, avait émis un avis très réservé notamment sur le fichage des mineurs, sur le fait que les données soient non sécurisées et que le texte n’indique pas clairement de limite de temps concernant la conservation des données (sauf pour les données qui seront collectées pour les seuls besoins d’une enquête administrative qui ne seront conservées que pour 5 ans). Ce qui pose problème, c’est que la CNIL n’a pas figure d’autorité et que le gouvernement, s’il le décide, peut passer outre l’avis de la commission. Un recours a cependant été déposé et sera prochainement examiné par le Conseil d’État dans le but d’une suspension de l’utilisation de ce fichier dans un premier temps puis de sa suppression. En effet, les décrets ministériels sont applicables dès le lendemain de leur parution dans le Journal Officiel ! (Notons que M. Fillon souhaitait que ce décret ne paraisse pas dans le Journal Officiel : belle leçon de démocratie M. le Premier ministre !) Si tous ces recours ne suffisent pas, la Cour européenne des droits de l’Homme pourra également être saisie.

Si l’on ajoute à cela la révision de la constitution qui vise à renforcer le pouvoir du chef de l’État, on est en droit de se demander ce que l’avenir nous réserve. Un pays dans lequel les pouvoirs sont concentrés dans les mains d’une seule personne et où la surveillance des citoyens est très étroite pourrait rapidement tomber dans la dérive totalitaire !
Par ailleurs, l’UMP, par une manœuvre relativement habile, et en train de modifier le rapport dominants / dominés institué par le modèle capitaliste, par une clivage victimes / coupables. Au sein même des mouvements de grève, les usagers se retrouvent être les victimes, les grévistes étant les coupables. C’est ainsi que le gouvernement renvoie chaque personne à sa responsabilité, renforçant ainsi le phénomène d’individualisation de notre société.

Pour plus de renseignements : le texte officiel du décret

Si vous trouvez ce texte dangereux, vous pouvez signer la pétition en ligne.

12 thoughts on “La citoyenneté est-elle devenue un délit ?

  1. Même si j’avais déjà fait tous mes commentaires par mail, je me dois d’en poster un :
    – pour dire que cet article est bien ;
    – pour dire « oooh, tu as changé la fin » ;
    – pour conserver mon avance sur Bouba.

  2. Bravo, Sophie Quesne Richet est fière de toi maintenant (le sujet lui tenant particulièrement à coeur!)… et accepte que tu épouses sa fille!
    Bon, t’as plus qu’à faire ta demande 😀
    Héhéhé

  3. Merci pour votre soutiens 😀
    C’est juste un petit article pour qu’on en parle !
    Et pour que tout le monde sache que je suis fiché, même si je le savais déjà 🙂

  4. Héhé, maintenant, le fait même de poster sur ce blog fait que vous êtes fichés ! Vous devez donc vous aussi signer cet appel pour lutter contre le fichage de la population ! 😀 (non ce n’était pas un piège !)

    Quant à la fille de Sophie, tu la connais puisqu’il s’agit de Cachou elle-même 😉

  5. Je suis épatée que la population ne réagisse pas à cette atteinte à nos libertés les plus fondamentales…
    On est en plein dans l’histoire de la grenouille qui est plongée progressivement dans une eau de plus en plus chaude, et qui, du coup, supporte la chaleur…
    Nous, pauvres humains blasés et dépassés par la quantité d’horreurs que l’on nous impose chaques jours, et bah on encaisse, comme des gros niais…
    Savez vous, par exemple, que mardi, une femme s’est encore défenestrée du quatrième étage alors que les huissiers venaient l’expulser?
    Ceux là ont d’ailleurs continué à vider l’appartement pendant qu’elle agonisait au sol (ça a duré une demi heure!), car « on continue, et on commence par la cuisine » (paroles de l’huissier!).
    Moi, j’ai les boules…

  6. Je me sens obligé de faire une blague que je comprends.
    Cachou, normalement, tu ne peux pas avoir les boules. Sinon, consulte un médecin.
    (j’ai honte, mais au moins, ça, je suis capable de le comprendre 😛 )

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